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Notre regard

Grèce | Le traquenard européen

« Ici, c’est comme en Afghanistan pendant la guerre. Lorsqu’on quitte sa maison le matin, on ne sait pas si on rentrera vivant». 1

Deux mois en Grèce: le reportage de Cristina Del Biaggio et Alberto Campi

Alberto Campi, photojournaliste et Cristina Del Biaggio, géographe, ont effectué en juillet et août 2012, un voyage en immersion à la frontière gréco-turque. De leurs rencontres, ils ont ramené des images, des témoignages, des faits et des émotions. Ci-dessous quelques « Carte postale légendée », dont la première publiée dans la revue Vivre Ensemble:

Alberto Campi, avec ce reportage, a gagné le Swiss Photo Award 2013.

La migration dans la région de l’Evros

Depuis 2010, la Grèce est devenue un des principaux points d’entrée des migrants dans l’UE *. Le durcissement des contrôles dans la Méditerranée à partir de 2009, l’éclatement de la guerre en Libye en 2011, et le déminage de la frontière gréco-turque en 2009 sont les raisons les plus plausibles évoquées pour expliquer cette «popularité».

40% des entrées irrégulières en Europe se font par la «Méditerranée orientale», route en partie terrestre, en partie maritime. Plus sûre, la voie terrestre a clairement été privilégiée ces dernières années (de 11’127 en 2009 à 55’558 en 2011) au détriment de la traversée de la mer Egée (de 28’848 en 2009 à 1’467 en 2011). Malgré la crise économique, la Grèce finance à elle seule la construction d’un «mur» de 12,5 km. Selon le rapport annuel de Frontex publié en 2012, les Afghans ont été les plus nombreux à traverser la frontière terrestre, suivis des Pakistanais et des Bangladeshis.

* lire également notre chronique sur la frontière gréco-turque (VE 131, février 2011)

Le traquenard européen

Le Tribunal administratif fédéral a récemment débouté de sa demande d’asile une famille tamoule réfugiée en Grèce avec, comme argument: «Les discriminations et attitudes racistes dont les recourants auraient été victimes sont susceptibles d’exister dans n’importe quel pays démocratique européen».2 Pourtant, dans son rapport au titre révélateur Hate on the streets. Xenophobic violence in Greece, Human Rights Watch dénonce des violences généralisées marquées par l’impunité, et recommande au gouvernement d’entreprendre «des actions urgentes pour contrecarrer ce phénomène alarmant».

Mi-août, le HCR dénonçait des attaques devenues quotidiennes. Au terme de deux mois d’enquête* sur la situation des migrants en Grèce continentale, nous pouvons témoigner d’un vrai climat de terreur. Les nombreux migrants que nous avons rencontrés racontent ne pas dormir la nuit par peur d’attaques de néo-nazis ou de la police, dans les parcs où ils (sur)vivent ou à l’intérieur de leurs maisons. La violence s’exprime par intimidation et harcèlement (les policiers tournent en moto autour des migrants en faisant tournoyer leur matraque), par des abus de pouvoir (vols, destruction de permis de séjour par la police) et par la violence physique (les coups de la police et des néo-nazis n’épargnent pas les plus vulnérables: personnes âgées et femmes enceintes notamment).

La non-intervention de la police assistant aux agressions de néo-nazis et l’impunité alimentent ces pratiques (la moitié des policiers ont voté pour le parti Aube dorée lors des dernières élections)3. Deux personnes nous ont dit avoir été témoins de deux homicides lors d’intervention des forces de l’ordre. Les réfugiés et les migrants sont pris au piège. Déposer une demande d’asile est quasi-impossible. Et à Patras, des migrants interceptés par des «commandos» de policiers alors qu’ils tentaient d’embarquer sur des navires auraient été victimes d’actes de torture (emploi de tasers et de chiens sans muselière contre les migrants immobilisés).

Cristina Del Biaggio

1 Human Rights Watch, Hate on the streets. Xenophobic violence in Greece, 2012
2 ODAE romand
3 okeanews.fr, « un policier sur deux a-t-il vraiment vote pour l’aube doree? »

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