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OSAR | Qu’arrive-t-il aux demandeurs d’asile renvoyés vers l’Italie après une NEM Dublin?

L’OSAR publie un rapport sur les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Italie. La version allemande avait été rendue publique en septembre.

Alors que près de 84% des personnes renvoyées selon l’accord de Dublin en Italie viennent de Suisse, l’OSAR s’est rendue dans la Péninsule pour faire le point sur l’accueil des requérant-e-s d’asile et des bénéficiaires d’une protection, en particulier celles et ceux de retour en Italie dans le cadre de Dublin. 64000 réfugiés reconnus vivent déjà en Italie et 8000 places d’hébergement sont mises à dispositions par les autorités, rappellent les auteurs du rapport. Insuffisance dans l’accès aux procédures d’asile, insuffisance des places d’hébergement, totale précarité pour les personnes vulnérables, dont les femmes seules avec enfants:

« Le système d’accueil italien des requérant-e-s d’asile et des bénéficiaires d’une protection connaît des défaillances systémiques. L’Italie viole ainsi ses obligations internationales. Dans ces conditions, les Etats membres de Dublin qui ont l’intention de lui transférer des personnes ont une obligation renforcée de clarifier %les conditions d’accueil et d’encadrement à l’arrivée pour chaque cas]. Dans la mesure où une personne dont le transfert est envisagé risque de se retrouver sans abri et où elle n’a aucune possibilité d’acquérir une autonomie, l’Etat requérant doit faire usage de la clause de souveraineté prévue par le Règlement Dublin. »

Ci-dessous le résumé du rapport, mis en ligne sur le site de l’OSAR

Une délégation de l’OSAR s’est rendue à Rome et à Milan du 27 mai au 7 juin 2013. Elle a eu des entretiens avec des ONG, des autorités et des réfugié-e-s afin de clari- fier la situation actuelle de l’accueil des requérant-e-s d’asile et des réfugié-e-s.

La grande majorité (83,9 pour cent) des transferts Dublin vers l’Italie vient de la Suisse. Il y a eu au total 3551 cas de transferts Dublin vers l’Italie en 2012 pour 8000 places d’accueil étatiques. 64’000 réfugié-e-s reconnu-e-s vivent déjà en Italie.

Ce qu’on a appelé l’état d’urgence Afrique du nord s’est terminé fin février 2013. Environ 16’000 personnes ont dû quitter les hébergements d’urgence. Quelques 3’000 personnes vulnérables ont pu rester plus longtemps et devraient être placées dans le SPRAR (Sistema di protezione per richiedenti asilo e rifugiati).

Il subsiste des insuffisances dans l’accès à la procédure d’asile. A Milan, on exige systématiquement une attestation de domicile pour le dépôt d’une demande d’asile. A Rome aussi, il faut fournir une adresse. Tant à Milan qu’à Rome, il peut y avoir plusieurs mois d’attente entre le dépôt de la demande d’asile et son enregis- trement formel (verbalizzazione). Pendant cette période, les personnes concernées n’ont pas d’hébergement.

Aux aéroports de Rome-Fiumicino et de Milan-Malpensa, des ONG offrent des con- sultations aux requérant-e-s d’asile transféré-e-s en Italie dans une procédure Dublin. En outre, elles peuvent fournir à ces personnes une place dans un projet FER (Fondo europeo per i rifugiati : hébergements financés par le Fonds européen pour les réfugié-e-s) s’il y a des disponibilités et pour autant que la Préfecture de Rome ou celle de Varese soit compétente pour la personne concernée. Si c’est une autre préfecture qui est compétente, la personne peut éventuellement rester quelques jours dans un projet FER jusqu’à ce qu’elle poursuive son voyage. Le nombre de places d’accueil dans les projets FER est très limité, seulement 220 en tout. Tant la durée du séjour que celle du projet sont en règle générale très brèves.

Théoriquement, les requérant-e-s d’asile transféré-e-s dans le cadre de Dublin ont également accès pour un certain temps aux centres de premier accueil CARA (Cen- tri di accoglienza per richiedenti asilo). Toutefois, ces centres sont actuellement pleinement occupés.

Contrairement aux requérant-e-s d’asile transféré-e-s, les personnes transférées ayant déjà un statut de protection en Italie ne reçoivent aucun soutien. Elles n’ont aucun accès aux ONG dans les aéroports et ne peuvent être logées dans les projets FER. Certes, elles ont le droit d’entrer librement en Italie mais doivent se débrouiller sans aide. Le système italien prévoit que les bénéficiaires d’une protec- tion ont le droit de travailler au plus tard depuis l’obtention de leur statut, raison pour laquelle il est attendu d’elles qu’elles puissent aussi subvenir à leurs besoins depuis ce moment là. Elles n’ont plus accès aux CARA, mais cependant au SPRAR pour autant qu’elles n’aient pas précédemment épuisé cette possibilité. Le nombre de places offertes par le SPRAR est très limité (actuellement, 4800, mais dès 2014, il devraient y en avoir 16’000) et on compte environ 5000 personnes sur des listes d’attente. La durée du séjour y est de six mois et peut être prolongée à douze mois, voire plus pour les personnes vulnérables. Dans la plupart des cas, cette durée ne suffit cependant pas pour acquérir une autonomie.

Aussi bien la commune de Rome que celle de Milan exploitent des guichets d’information où elles procurent des places d’hébergement au niveau communal. D’autres personnes étrangères (non seulement du domaine de l’asile) y ont accès. A Rome, ces places sont au nombre de 1300 et le délai d’attente est de trois mois au moins. Cependant, il y a aussi des cas où, malgré des demandes répétées, les per- sonnes concernées n’ont jamais trouvé à se loger. Plus de la moitié des places sont occupées par des requérant-e-s d’asile de sorte qu’il y en a peu à disposition des bénéficiaires d’une protection. Souvent, il s’agit de places d’hébergement nocturne d’urgence qui ne sont donc ouvertes que la nuit. La durée de séjour y est de six à douze mois.

La commune de Milan exploite 400 places relevant du système Morcone. Les centres pour les hommes ne sont ouverts que de nuit. Le séjour peut y être de dix mois. Les personnes ayant déjà été dans un projet SPRAR n’y ont pas accès. De même, les personnes souffrant de problèmes psychiatriques en sont exclues car elles ne peuvent y trouver un hébergement adéquat. Les familles sont systématiquement logées de manière séparée à Milan. Egalement dans cette ville, la plupart des personnes ne peuvent pas se débrouiller seules après la période de dix mois.

En outre, il existe aussi bien à Rome qu’à Milan un certain nombre de lits proposés par des ONG ou des institutions religieuses. Leurs capacités d’accueil sont toutefois extrêmement limitées et il ne s’agit souvent que de places pour un hébergement nocturne d’urgence. Des bénévoles d’ONG passent souvent des heures au télé- phone pour pouvoir trouver un lit pour une seule nuit.

Bien des personnes se retrouvent dès lors sans abri ou dans des maisons occupées et des taudis. La délégation a visité la villa Selam Palace à Rome. Elle est occupée par près de 800 personnes originaires d’Afrique de l’est, dont des familles et également des femmes seules avec enfants. L’endroit est autogéré par un comité et dirigé de manière strictement hiérarchique. Les conditions sanitaires y sont précaires et les femmes y sont exposées à des violences sexuelles. Les conditions de vie ne sont pas du tout adaptées aux besoins des enfants. Les malades psychiques ne sont pas acceptés dans les maisons occupées car leur comportement n’est pas socialement supportable. Les nombreux/ses réfugié-e-s sans abri sont visibles à Rome et beaucoup d’entre eux et elles dorment la nuit à la gare Termini sous un avant-toit. A Milan, il y a des bâtiments de la gare occupés où vivent également des personnes au bénéfice d’une protection.

En raison de la crise économique actuelle et du taux de chômage élevé (12 pour cent en moyenne et 39,5 pour cent chez les jeunes adultes), il est pratiquement impossible pour les requérant-e-s d’asile et les bénéficiaires d’une protection de trou- ver un emploi. Lorsqu’ils y parviennent, c’est le plus souvent un travail au noir, mal payé et de brève durée. Le gain réalisé ne suffit pas pour louer un logement ni pour subvenir aux besoins existentiels. Ainsi, les personnes concernées passent tout leur temps dans les rues pour aller à la soupe populaire, chercher un endroit pour dormir ou une possibilité de se laver. Leur quotidien est déterminé par les faits et gestes destinés à couvrir leurs besoins élémentaires. Des efforts d’intégration, comme par exemple suivre des cours de langue, ne sont ainsi guère possibles. Cela est encore plus difficile pour les mères ou les pères seul-e-s avec des enfants. En tous les cas, l’offre en matière d’intégration est très limitée.

Sur le plan de l’aide sociale, les réfugié-e-s reconnu-e-s sont certes mis sur pied d’égalité avec les ressortissant-e-s italien-ne-s. Toutefois, le système italien de l’aide sociale est très faible et ne permet pas de garantir un minimum vital. Le délai d’attente pour un logement social est de plusieurs années, même pour les familles. Le système italien se base fortement sur le soutien des personnes concernées par leur famille. Cependant, les réfugié-e-s ne peuvent pas compter sur un tel réseau familial.

Les familles avec enfants peuvent certes parfois rester plus longtemps dans un centre. D’un autre côté, il leur est plus difficile de trouver une place appropriée et elles doivent souvent compter avec un délai d’attente plus long. En outre, elles sont souvent hébergées de manière séparée. Les femmes sans abri avec enfants risquent par ailleurs de voir leurs enfants être placés sans elles. Cela retient d’emblée certaines mères de s’annoncer pour une place d’accueil.

Dans la pratique, l’accès aux soins médicaux est rendu difficile par le fait que bien des requérant-e-s d’asile et bénéficiaires d’une protection ne sont pas informé-e-s de leurs droits et de la procédure administrative visant à l’obtention d’une carte de santé. En outre, l’Italie ne dispose pas de suffisamment de places d’accueil adaptées aux malades psychiques. Le traitement effectif de maladies psychiques comme le syndrome de stress post-traumatique n’est pas possible tant que la personne vit dans la rue.

Le système d’accueil italien des requérant-e-s d’asile et des bénéficiaires d’une protection connaît des défaillances systémiques. L’Italie viole ainsi ses obligations internationales. Dans ces conditions, les Etats membres de Dublin qui ont l’intention de lui transférer des personnes ont une obligation de clarifier renforcée dans les cas d’espèce. Dans la mesure où une personne dont le transfert est envisagé risque de se retrouver sans abri et où elle n’a aucune possibilité d’acquérir une autonomie, l’Etat requérant doit faire usage de la clause de souveraineté prévue par le Règlement.

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