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IRIN | Le travail des enfants en hausse chez les réfugiés irakiens au Liban

Ali Al Wasate n’a peut-être que 13 ans, mais il a été contraint de mûrir vite. Il ne va plus à l’école, et se consacre à la recherche laborieuse d’un emploi pour aider sa famille à payer ses factures à Beyrouth, au Liban.

Article publié le 5 février 2014 sur le site de l’IRIN. Cliquez ici pour lire l’article sur le site de l’IRIN.

Ça n’a pas toujours été comme ça. Quand il était plus jeune, à Bagdad, son beau-père Ahmed gagnait bien sa vie comme fonctionnaire et Ali étudiait dans une bonne école. Neuf ans après l’invasion américaine en Irak, lui et sa famille avaient le sentiment d’avoir survécu au pire. Quand soudain, tout a basculé.

« Un jour que je rentrais chez moi après le travail, deux hommes barbus m’attendaient », a dit Ahmed. « Ils m’ont accusé d’être un espion et m’ont ordonné de quitter le quartier avant qu’il ne soit trop tard. Je leur ai demandé qui les envoyait, mais ils m’ont répondu qu’il était trop dangereux de poser ce genre de questions. »

Convaincus que leurs vies étaient menacées, les Wasate ont fait leurs valises et ont fui au Liban. Là, ils ont intégré une petite communauté de 6 000 à 7 000 réfugiés irakiens attendant d’être relocalisés dans un pays tiers.

Ils souhaitaient qu’Ali poursuive sa scolarité, mais lorsqu’ils ont commencé à chercher une école où l’inscrire, le coût de la vie au Liban les a frappés. Dans ce pays, les nécessités de base – comme le logement – coûtent souvent plus du double qu’en Irak. « Avec ce que nous avions emporté, nous pensions pouvoir vivre deux ans. En six mois tout était dépensé », a dit Ahmed.

Les rares écoles publiques affichaient complet, et ils ne pouvaient pas se permettre les frais de scolarité des établissements privés, si bien qu’Ali n’est jamais retourné à l’école. Avec les problèmes de dos d’Ahmed qui l’empêchent d’exécuter des travaux manuels, la famille compte désormais sur Ali pour payer les factures.

Nous voulions [lui trouver] un travail légal, avec des garanties, alors nous nous sommes adressés à une organisation qui aide les Irakiens à trouver du travail. Nous les avons suppliés de lui offrir un emploi, mais ils ont dit qu’il était trop jeune », a dit Inass, la mère d’Ali. Il n’a pas encore trouvé de travail, mais recherche quelque chose d’illégal dans le secteur manuel.

Leur histoire est d’une banalité croissante chez les réfugiés irakiens du Liban. Un nouveau rapport de l’ONG Caritas, qui vient en aide aux réfugiés irakiens dans ce pays depuis plus de dix ans, a révélé qu’un nombre croissant d’enfants était contraint de travailler.

Bien que « dans l’ensemble, une minorité de réfugiés irakiens emploient le travail des enfants comme un mécanisme d’adaptation », a dit le rapport, les familles particulièrement vulnérables – « généralement les familles nombreuses et celles sont les parents sont dans l’incapacité de travailler – sont les plus susceptibles de faire travailler leurs enfants ».

Les auteurs du rapport ont interrogé près de 100 enfants irakiens âgés de 11 à 18 ans, qui étaient soupçonnés de travailler illégalement. C’était le cas pour la grande majorité, avec deux tiers d’entre eux invoquant l’argent comme la raison première de leur déscolarisation. De manière révélatrice, peu de parents avaient conscience que leurs enfants seraient contraints de travailler en quittant l’Irak – 92 pour cent des enfants n’avaient jamais travaillé auparavant.

Exploités au maximum

Il est interdit aux réfugiés irakiens de travailler au Liban, et selon Caritas, la plupart d’entre eux le font illégalement, en s’adonnant souvent à des activités manuelles assorties de peu d’avantages sociaux.

La situation s’est aggravée ces deux dernières années avec l’arrivée d’environ 890 000 réfugiés syriens. Ces derniers ont accaparé bon nombre des emplois manuels dont les Irakiens dépendaient, pour des salaires souvent bien inférieurs. Caritas a également documenté de nombreux cas de propriétaires expulsant arbitrairement leurs locataires pour louer plus cher à des Syriens. Rien que par leur nombre, les Syriens – qui ont pour habitude de subdiviser les propriétés – ont fait grimper les prix du logement pour les autres.

Dans le même temps, maintenant que l’Irak n’est plus au centre de l’attention mondiale, les aides allouées à ceux qui fuient sa violence ont diminué. Tandis que les aides financières aux Irakiens – essentiellement américaines – ont été revues à la baisse ces dernières années, et que le nombre de réfugiés a faibli après avoir atteint un maximum de 17 000 en 2006, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a restreint ses services ces derniers mois, en réduisant ses aides aux personnes atteintes de maladies chroniques.

Joelle Eid, la porte-parole du HCR, a dit que le financement posait problème, mais que l’organisation continuait de contribuer autant que possible : « le volume de l’aide destinée aux réfugiés irakiens était supérieur à celui de l’aide allouée aux Syriens au début de la crise [syrienne] », a-t-elle dit. « Avec l’intensification de la crise [syrienne], l’aide aux Irakiens devient plus ciblée. Les bourses d’études ont été réduites et alignées avec celles accordées aux Syriens. Les soins hospitaliers ne couvraient plus que les premiers soins, comme pour les Syriens. »

Isabelle Saadeh, coordinatrice de projet chez Caritas, a dit que de nombreux Irakiens avaient le sentiment d’avoir reçu moins de soutien que leurs homologues syriens. « Les Syriens reçoivent beaucoup d’aide : des couvertures, des réchauds, des affaires d’hiver. Alors ils ressentent la différence entre les deux communautés », a-t-elle dit.

Le HCR a dit que les réfugiés syriens avaient reçu plus d’aide pour affronter l’hiver, mais que c’était dû au fait qu’ils avaient tendance à vivre dans des régions plus froides du pays, tandis que les Irakiens se concentraient dans les villes et sur la côte.

Caritas a également réduit ses effectifs et ses activités – de financement notamment – ont été revues à la baisse. « Pour une aide régulière, nous ciblons les plus vulnérables parmi les plus vulnérables. C’est un choix très difficile. »

Un problème linguistique

L’argent n’est cependant pas l’unique raison pour laquelle les enfants quittent l’école pour travailler.

Étant donné que le Liban n’est pas signataire de la convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés, les familles irakiennes y sont en attente d’être réimplantées dans un pays tiers. La procédure prend habituellement entre un et deux ans, mais peut durer bien davantage, rapportent le HCR et Caritas. Pourtant, de nombreuses familles espèrent à tort être relocalisés en quelques mois, et choisissent de ne pas inscrire leurs enfants à l’école libanaise, avec l’intention de les inscrire une fois dans leur nouveau pays.

« Nous essayons de leur expliquer que s’ils ne vont pas à l’école tant qu’ils sont au Liban, il risque d’être trop tard une fois qu’ils seront relocalisés », a dit Mme Saadeh, en ajoutant qu’ils ont même demandé à certains parents de signer un papier promettant de ne pas retirer leurs enfants de l’école.

Ceux qui vont à l’école ont souvent du mal à suivre. Le programme irakien est presque exclusivement enseigné en arabe, tandis qu’au Liban, le français ou l’anglais sont prédominants. De nombreux enfants inscrits ne parviennent pas à gérer le fossé linguistique.

Se débrouiller

Livan Oraha a 10 ans, mais ce n’est pas le cas de ses camarades de classe. Après la mort de sa mère dans les violences en Irak, sa tante Nadeema a fui le pays avec la famille. Les deux frères aînés de Livan, dont l’un n’est encore qu’un adolescent, ont été contraints de travailler pour payer le loyer de la famille, mais Nadeema a tenu à offrir une éducation à Livan.

Mais au lieu de le mettre dans une classe avec des enfants de son âge, l’école l’a inscrit en première année. Si bien que ses petits camarades ont six ans. Livan les dépasse de plusieurs têtes.

« Nous avons pensé que c’était la meilleure chose à faire, pour qu’il puisse reprendre du début et apprendre la langue », a dit Nadeema.

Elle a ajouté qu’elle était déterminée à lui offrir une éducation, mais qu’elle espérait que ce serait plutôt en Occident qu’au Liban. « Ils adorent tous aller à l’école. J’aimerais que les deux grands étudient aussi, mais on ne peut tout simplement pas se le permettre. »