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Comptoir

Hausse des demandes d’asile: beaucoup de bruit pour rien

Décryptage thématique de Vivre Ensemble adressé aux médias le 10 juillet 2014.

Hausse des demandes d’asile: beaucoup de bruit pour rien

Plusieurs journaux et médias se sont alarmés, ce week-end et en début de semaine, d’une hausse significative du nombre de demandes d’asile en juin. Des propos alarmistes et totalement amnésiques des évolutions des quatre premiers mois de l’année, où une baisse avait été constatée par rapport à l’année précédente, année 2013 qui avait elle-même connu une baisse de 25% des demandes par rapport à 2012. Des propos également complètement déconnectés d’une réalité saisonnière, qui se répète année après année.

imagehausseLe 30 juin 2014, Mario Gattiker déclare à la SRF que les demandes d’asile ont fortement augmenté au mois de juin: 2100 demandes, soit 400 de plus qu’en mai. Il souligne que la plupart des demandes émanaient de personnes fuyant la Syrie et la Lybie. Précisant qu’il se refuse de parler de «vague de réfugiés», il déclare que la Suisse doit prévoir davantage de places d’hébergement. Pour l’ODM, «5000 places supplémentaires doivent être prêtes pour la fin de l’année 2014» (Deutliche Zunahme der Asylgesuche in der Schweiz, SRF, 30.06.2014) Une annonce que l’ODM a communiquée à maintes reprises : ces 5000 places d’hébergement sont déjà prévues dans le plan de restructuration de l’asile.

Depuis cette annonce relayée par l’ATS en Suisse romande, l’ «afflux de migrants» et l’ «arrivée massive des réfugiés en Suisse» sont revenus sur le devant de la scène et mis en lien, de manière assez confuse, tantôt avec le conflit syrien, tantôt avec le projet pilote de l’OSAR qui prévoit l’accueil de réfugiés chez des particuliers, tantôt avec l’appel de Caritas Suisse à augmenter le contingent de réfugiés syriens accueillis par la Suisse de 500 à 5000 personnes, ou encore avec l’annonce d’ouverture de centres d’hébergement dans certains cantons.

A titre d’exemple:

  • «Face à l’afflux de migrants, sans précédent depuis la Deuxième Guerre mondiale selon l’ODM, l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) lance un projet pilote : des particuliers pourraient héberger des réfugiés, révèlent jeudi le Bund et le Tages AnzeigerDes particuliers pourraient accueillir des réfugiés chez eux, RTS Info.
    En réalité, le directeur de l’ODM parlait, dans les colonnes du Tages Anzeiger, d’une «situation sans précédent aux portes de l’Europe depuis la Deuxième Guerre mondiale», et non aux frontières suisses, comme le laisse penser le résumé sur le site web de la RTS. En guise de comparaison, le HCR, dans son dernier rapport sur les tendancees mondiales, a plutôt fait référence au précédent connu dans le cadre de la crise du Rwanda.
  • «L’ONG Caritas appelle à plus de solidarité envers les réfugiés syriens. D’autres estiment que la Suisse est confrontée à une hausse de requérants d’asile. Toutes origines confondues, ces trois dernières années, leur nombre est passé de 300 à 1400 par mois.» RTS, 19:30, 06.07.2014.
    En réalité, les chiffres fournis par la journaliste ne renvoient à aucune statistique connue ou fiable.
  • «Il faut bel et bien s’attendre à l’afflux de milliers d’exilés supplémentaires.» Des milliers de réfugiés syriens attendus en Suisse, La Tribune de Genève, 09.07.2014, p. 5.

Décryptage

S’il ne s’agit pas de contester la hausse des demandes d’asile pour le mois de juin, l’alarmisme affiché par les médias est démesuré.

1. Il faut rappeler que le 1er trimestre 2014 avait connu une baisse de 15% par rapport au 1er trimestre 2013. L’ODM soulignait : «4894 demandes d’asile ont été déposées en Suisse au cours du premier trimestre 2014, soit 685 (- 12,3%) de moins qu’au dernier trimestre 2013 (5579 demandes) et 865 (- 15,0%) de moins qu’au premier trimestre 2013 (5759 demandes). Le mois de janvier 2014 a connu le plus fort afflux avec 1934 demandes, alors que 1467 et 1493 demandes ont été enregistrées respectivement en février et en mars. Le recul observé entre le premier trimestre et le dernier trimestre de l’année précédente est habituel, car les conditions météorologiques défavorables pendant l’hiver compliquent le voyage vers l’Europe de nombreux migrants.» Statistiques en matière d’asile, 1er trimestre, ODM, 07.04.2014.

2. L’évolution du 2e trimestre 2014 ne paraît pas « anormale », en comparaison à la même période en 2013. Sachant qu’en avril et en mai 2014, 1495 et 1680 demandes ont été déposées, et quand bien même le nombre de demandes devaient atteindre 2200 en juin, le total des demandes d’asile atteindrait 5375. Nous citons également ci-dessous le commentaire de l’ODM sur la statistique du 2ème trimestre 2013 : «Au cours du deuxième trimestre 2013, 5266 demandes d’asile ont été déposées en Suisse, ce qui se traduit par un recul de 493 demandes (- 8,6 %) par rapport au premier trimestre 2013 (5759 demandes) et par un fléchissement de 2014 demandes (- 27,7 %) en comparaison avec le deuxième trimestre 2012 (7280 demandes). Le mois d’avril 2013 a connu le plus fort afflux avec 2067 demandes, alors qu’aux mois de mai et de juin 2013, on a enregistré respectivement 1654 demandes et 1545 demandes. Cette évolution est plutôt insolite, dès lors qu’au vu des années précédentes, le printemps a tendance à s’achever sur une hausse du nombre des demandes d’asile. A cela s’ajoute qu’en ce moment, nos voisins européens voient leurs taux de demandes d’asile grimper de près de 10 %.»  Statistique en matière d’asile 2e trimestre 2013, Communiqué, ODM, 16.07.2013.

[caption id="attachment_17495" align="aligncenter" width="589"]tableaudemandes Source: ODM, Statistiques mensuelles et annuelles[/caption]

3. Ces commentaires montrent aussi que les flux migratoires connaissent des variations saisonnières, année après année, comme l’a tout récemment montré le Bureau d’appui européen en matière d’asile (rapport annuel 2013, p.14),  dans un tableau très parlant. Et il n’est pas étonnant de constater une hausse lors des mois d’été, période plus favorable à la traversée de la Méditerranée.

[caption id="attachment_17490" align="aligncenter" width="525"] Source: EASO, Annual Report: Situation of Asylum in the European Union 2013, Juillet 2014, p. 14.[/caption]

4. Surtout, pour que la comparaison statistique soit pertinente, il est essentiel de considérer les flux migratoires sur une période plus longue. Rien que ces trois dernières années, le nombre a évolué comme suit : 22’551 en 2011, 28’631 en 2012 et 21’465 en 2013 (en baisse de 25% par rapport à l’année d’avant). En élargissant encore sur ces dix-huit dernières années (selon les statistiques disponibles sur le site de l’ODM), la moyenne annuelle des demandes d’asile a été de 21’722. Evidemment, des pics liés à la situation internationale sont constatés : en 1999, 47’595 demandes avaient été déposées, contre 10’797 en 2005.

Pression migratoire et capacités d’accueil?
S’il est question, ces derniers jours, d’un manque de places d’hébergement pour les demandeurs d’asile dans les cantons, il nous semble important de rappeler qu’il s’agit d’un problème récurrent depuis plusieurs années, essentiellement dû à la décision, prise en avril 2006 par Christoph Blocher, alors en charge du Département fédéral de justice et police (DFJP), de diminuer drastiquement les montants alloués aux cantons pour l’hébergement des demandeurs d’asile, en décrétant unilatéralement que la capacité d’hébergement devait être calibrée sur 10’000 demandes. (Voir Afflux des demandes d’asile: un abus de langage, Vivre Ensemble n°120, décembre 2008. Loger les requérants d’asile: un casse-tête, swissinfo.ch, 31.01.2012.)

De manière générale, l’alarmisme affiché par les médias quant à cette hausse des demandes et le manque de nuance apporté à cette annonce sont préoccupants. Il nous semble important, au vu de ce qui précède, que les journalistes prennent systématiquement du recul lors de l’annonce ou l’analyse des variations mensuelles des demandes d’asile communiquées par l’ODM, celles-ci ayant peu de valeur significative en soi. L’effet de propos alarmistes sur les auditeurs ne peut que susciter une peur de l’invasion et un rejet des réfugiés non fondés sur des faits réels.

Vivre Ensemble

Le 14 juillet 2014, l’ODM a publié les statistiques en matière d’asile du deuxième trimestre 2014.

Selon son commentaire, « Au cours du deuxième trimestre 2014, 5384 demandes d’asile ont été déposées en Suisse, soit 490 de plus (+10.0 %) qu’au premier trimestre 2014 (4894 demandes) ou 118 de plus (+2.2 %) qu’au deuxième trimestre 2013 (5266 demandes). Le chiffre le plus élevé est enregistré au mois de juin 2014 (2234 demandes), alors que les chiffres pour mai et avril sont respectivement de 1680 et de 1470. L’augmentation constatée au deuxième trimestre est presque exclusivement due à la hausse des demandes de requérants d’asile de nationalité érythréenne, en lien avec les récentes arrivées dans le sud de l’Italie. »

[…]

« Compte tenu de la persistance d’un nombre élevé d’arrivées dans le sud de l’Italie, on ne peut exclure une nouvelle augmentation des demandes d’asile en Suisse dans les prochains mois. À cela s’ajoutent la guerre civile qui se poursuit en Syrie, avec près de trois millions de réfugiés enregistrés dans les pays de la région, et la crise actuelle en Irak qui, selon la manière dont elle se développe, pourrait à moyen terme déclencher de nouveaux mouvements migratoires vers l’Europe ».

Le 14 juillet 2014, RTS Info publiait une brève qui indiquait, sans plus de précision, une « explosion de 10% » des demandes d’asile en Suisse lors du deuxième trimestre. Suite à notre intervention cette brève a été modifiée.

Voici l’intervention du Comptoir des médias

Nous nous permettons de revenir vers vous à propos de la brève « L’Office fédéral des migrations annonce un recul du nombre de procédures pendantes de demandes d’asile » parue le 14 juillet 2014 sur le site RTS Info. Celle-ci reprend le communiqué de l’ODM « Statistiques de l’asile au 2e trimestre 2014 » (14.09.2014) qui a été relayée par la dépêche ATS « Recul du nombre de procédures d’asile pendantes » à la même date.

« L’Office fédéral des migrations (ODM) met les bouchées doubles: le traitement des procédures d’asile pendantes en première instance a continué à baisser au deuxième trimestre. Pendant la même période, le nombre de demandes d’asile a cependant explosé de 10%. »

Nous sommes étonnés de voir que « l’explosion de 10% » soulevée dans cette brève n’est pas mise en comparaison. Il n’est en effet pas indiqué par rapport à quelle période le nombre de demandes d’asile a augmenté. Dès lors, ce pourcentage perd toute valeur informative et ne fait que renforcer le message d’une « explosion des demandes » aux  yeux du public. Il s’agit en fait, selon l’ODM, d’une augmentation par rapport au premier trimestre de l’année. Selon son commentaire : « au cours du deuxième trimestre 2014, 5384 demandes d’asile ont été déposées en Suisse, soit 490 de plus (+10.0 %) qu’au premier trimestre 2014 (4894 demandes) ou 118 de plus (+2.2 %) qu’au deuxième trimestre 2013 (5266 demandes).

Nous souhaitons également remarquer que le terme d’ « explosion » n’est pas utilisé par l’ODM ni par la dépêche ATS. Ceux-ci parlent d’ « augmentation » et le commentaire de l’ODM est loin d’être alarmiste : « Compte tenu de la persistance d’un nombre élevé d’arrivées dans le sud de l’Italie, on ne peut exclure une nouvelle augmentation des demandes d’asile en Suisse dans les prochains mois. À cela s’ajoutent la guerre civile qui se poursuit en Syrie, avec près de trois millions de réfugiés enregistrés dans les pays de la région, et la crise actuelle en Irak qui, selon la manière dont elle se développe, pourrait à moyen terme déclencher de nouveaux mouvements migratoires vers l’Europe. »

Et voici la réponse de la RTS

Nous ne pouvons que vous donner raison sur le fait que le terme « explosion » pour une augmentation de 10% est abusif. Nous le regrettons et vous assurons que nous nous efforçons de sensibiliser au jour le jour et malgré l’activité en continu de notre rédaction les journalistes à peser les mots qu’ils emploient, en particulier pour des thématiques politiquement et émotionnellement chargées telles que l’asile.

Il va sans dire que la nouvelle publiée sur Teletext – relayée brièvement sur www.rtsinfo.ch – a été modifiée en conséquence dès réception de votre message.