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Documentation

Asilo in Europa | Qu’est-ce que Mare Nostrum?

Le 14 octobre 2013, une conférence de presse du ministre de l’intérieur italien Letta lançait l’opération Mare Nostrum. Ces derniers mois, nous avons beaucoup entendu parler de cette opération. L’association Asilo in Europa essaie de faire le point sur Mare Nostrum, se basant sur les informations accessibles au public.

Le billet a été publié sur le site de Asilo in Europa, le 22 mai 2014. Cliquez ici pour lire le billet en version originale (italien).

L’opération

Mare Nostrum devrait être, selon l’ex-ministre de la défense italienne Mario Mauro, « une opération militaire et humanitaire qui prévoit le renforcement du dispositif de surveillance et de secours en haute mer ».

Selon le Gouvernement italien, l’opération Mare Nostrum aurait donc une double mission:

1. garantir la sauvegarde de la vie humaine en mer
2. livrer à la justice ceux qui font du profit sur le trafic illégal de migrants

L’opération utilise des employés, des navires et des avions de la Marine militaire, des Carabinieri, de la Guardia di Finanza et des autorités portuaires, ainsi que des employés du Ministère de l’Intérieur. Les ressources proviennent principalement de la Marine militaire, comme il est possible de déduire de son site, où sont listés les moyens mis à disposition de Mare Nostrum. D’autres professionnels sont également présents: des policiers de certains commissariats concernés et du Service de la police scientifique, des membres des équipes spéciales anti-immigration qui opèrent en Sicile, deux médiateurs interculturels du Département de la sécurité publique.

Depuis quelques semaines, des discussions sont en cours entre Malte et l’Italie pour impliquer les Armed Forces of Malta dans l’opération Mare Nostrum. Personne ne sait exactement quel rôle joue la Libye dans cette opération. Dans un communiqué du 28 novembre 2013, le Ministère de la défense avait déclaré qu’au cours des pourparlers avec le gouvernement libyen en matière de migration irrégulière avait émergé la possibilité d' »embarquer des officiels libyens à bord des unités navales italiennes participant à l’opération Mare Nostrum« . Mais il n’y a pas eu plus de détails à ce sujet.

Les coûts

Quand l’opération Mare Nostrum a débuté, le Ministre de l’intérieur Alfano a répondu aux questions sur le financement de l’opération de la manière suivante: « les frais de cette opération seront couverts par le bilan de différents ministères ». Les fonds ont été alloués par le biais du décret sur l’Emergenza immigrazione (« urgence immigration »). Il s’agit d’environ 190 mio. d’euro, plus 20 mio. destinés aux mineurs non accompagnés. A cet argent, il faut ajouter les 30 mio. promis par l’UE quelques jours après la tragédie de Lampedusa (3 octobre 2013).

En ce qui concerne les coûts effectifs de l’opération, il n’y a pas de chiffres officiels. Nous savons par contre quels sont les coûts du fonctionnement du dispositif aérien et naval. Selon l’Istituto per gli studi di politica internazionale (ISPI), il faudrait 12 mio. d’euro par mois: 300’000 euro par jour pour le dispositif aérien et naval, plus environ 100’000 euro par jour pour les indemnités du personnel et d’autres coûts liés à la gestion de l’opération. L’amiral De Giorgi, chef d’Etat majeur de la Marine militaire, a déclaré récemment que le coût de Mare Nostrum avoisine 9 mio. d’euro par mois et que « pour y faire face nous avons dû réduire les entraînements militaires et épargner sur le carburant et sur d’autres choses. Cependant, il nous faut encore des fonds supplémentaires pour des pièces de rechange, pour remettre en état les avions et les bateaux, ainsi que pour le carburant ».

Comment fonctionne Mare Nostrum?

Le personnel à bord de Mare Nostrum n’est pas choisi selon des critères publics. Personne ne sait exactement ce qui se passe à bord des navires.

Une fois les migrants secourus, ils sont conduits dans trois ports: Porto Empedocle, Pozzallo ou Augusta, même si, récemment, vu le nombre croissant de migrants interceptés, toujours plus de migrants sont amenés à Palerme, Catane et Messine.

L’impression générale est que les moyens aériens et navals de Mare Nostrum opèrent très loin de la Sicile. Grâce notamment à des navires-hub en haute mer, ils arrivent rapidement sur les lieux de crise, ce qui les rends beaucoup plus efficaces des bateaux de patrouille des garde-côtes.

Un point intéressant concerne le prélèvement et l’enregistrement des empreintes digitales à bord. Selon le règlement Eurodac, celles-ci devraient être prises au moment de l’entrée irrégulière dans un pays membre de l’UE. Il serait intéressant de savoir avec quels critères sont prises ou pas prises les empreintes digitales à bord des navires qui participent à l’opération. En lisant des documents publics sur les sites de la police, nous avons trouvé des témoignages de policiers qui ont été à bord de Mare Nostrum en tant qu' »identificateurs ». Fin 2013, la police avait publié des données statistiques qui disaient que « du 18 octobre au 23 décembre, 2’330 migrants ont été assistés, dont 1’246 ont été enregistrées ». Ces données indiquent que même pendant une période assez calme du point de vue du nombre de personnes traversant la Méditerranée, le pourcentage de personnes non identifiées à bord correspond à plus de 40% de l’ensemble des personnes secourues. Les informations recueillies par les opérateurs des centres d’accueil confirment que l’identification à bord de Mare Nostrum n’est pas la norme.

Que se passe-t-il donc? Sur ce point, il faudrait une explication claire du Ministère de l’intérieur. Notre impression, confirmée par les opérateurs qui accueillent les migrants, est que les personnes qui ont l’intention de poursuivre le voyage et demander l’asile dans d’autres pays européens ne sont pas identifiées. Si elles l’étaient, elles finiraient dans les rouages du système Dublin.

Des chercheurs et des associations ont dénoncé les refoulements à la frontière effectués par Mare Nostrum. Ce phénomène concernerait surtout des migrants tunisiens et egyptiens.

Mare Nostrum, facteur d’attraction?

Au cours des 5 premiers mois de 2014, environ 40’000 personnes sont arrivées en Italie par la mer (suivre l’account twitter de la Marine militaire pour connaître les développements de ces chiffres). En tenant compte du fait que l’été -la période la plus favorable pour traverser la Méditerranée- doit encore arriver, il s’agit d’un nombre considérable de personnes, qui est plus élevé par rapport aux années précédentes. Ces chiffres sont même plus élevés que ceux de 2011, année record avec plus de 60’000 personnes arrivées en Italie, notamment à cause de la crise en Libye.

Selon Frontex, dans la période janvier-avril 2014, il y a eu une augmentation de 823% par rapport à l’année 2013. Ces chiffres, néanmoins, ne disent pas tout. Il ne faut pas oublier que, si les flux migratoires se déplacent à nouveau vers la Méditerranée centrale, c’est notamment car cette voie est l’une des seules restée « ouverte ». Alors que la Bulgarie construit un mur, l’Espagne tire des projectiles de gomme contre les migrants et beaucoup de pays du nord de l’Europe appliquent un durcissement de leurs politiques de visas, pour beaucoup de personnes qui fuient des zones de guerre il ne reste que l’option de la Méditerranée.

Ceci dit, l’estimation faite par le Ministère de l’intérieur selon laquelle il y aurait 600’000 personnes prêtes à traverser la Méditerranée paraît exagérée. Ce qui est sûr, c’est que la Méditerranée devient le tombeau de beaucoup de migrants (l’HCR affirme que plus de 170 personnes sont décédées en 2014 en cherchant à traverser la Méditerranée).

Nous voulons rappeler que les déplacements de personnes auxquels nous assistons en ce moment ont des racines profondes et une dimension historique qui doivent être comprises et acceptées. Il faut prendre acte du fait que, malgré l’engagement pris par Mare Nostrum pour sauver des vies,  il faut des politiques sérieuses et réalistes pour les personnes qui arrivent sur terre, et non pas des politiques dictées par l’urgence. Il n’y a pas de solutions-miracle, et il est inutile de continuer à demander que « d’autres s’en occupent ».

(traduit de l’italien par Cristina Del Biaggio)