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Le Courrier | Incendie des Tattes: 1623 signatures contre le renvoi des victimes

Gravement blessé lors de l’incendie du foyer pour requérants d’asile, un jeune homme est menacé d’expulsion d’ici à la fin du mois.

Article de Christiane Pasteur, paru dans Le Courrier, le 5 mars 2015. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

[caption id="attachment_21497" align="alignright" width="300"]Conférence de presse, 05.03.2015. Photo: Alberto Campi, 2015 Conférence de presse, 05.03.2015. Photo: Alberto Campi, 2015[/caption]

La petite salle du syndicat SIT peinait à accueillir toutes les personnes présentes hier matin lors d’une conférence de presse annonçant la remise d’une pétition au Conseil d’Etat genevois contre le renvoi des victimes de l’incendie du foyer des Tattes. Pour l’occasion, une douzaine d’entre elles étaient présentes, ainsi que leurs avocats, des sympathisants et nombre de journalistes.

Pour mémoire, l’incendie qui s’est déclenché dans la nuit du 16 au 17 novembre dernier dans le foyer pour requérants d’asile de Vernier a causé la mort d’un Erythréen de 29 ans, tandis qu’une quarantaine d’autres personnes ont été blessées et deux se retrouvent aujourd’hui paraplégiques.

«Plusieurs requérants déboutés vivent avec la menace constante d’être expulsés», a indiqué l’avocate Laïla Batou, qui défend les victimes aux côtés de Pierre Bayenet. «On espérait qu’ils obtiendraient un sursis. Au lieu de cela, ils se retrouvent harcelés, certains ont été arrêtés, les autorités entendent procéder à un renvoi d’ici à la fin du mois. Alors même que l’Etat n’est probablement pas hors de cause dans le bilan de l’incendie. Il ne peut se dérober face à ses responsabilités, y compris en indemnisant les victimes.»

Un manque d’humanité

Hier, trois d’entre elles ont témoigné du traumatisme subi, de la profonde injustice ressentie face à tous ceux qui ont un peu trop rapidement affirmé qu’ils avaient «paniqué» lors de l’incendie et de leur sentiment d’abandon, tant de la part des autorités politiques que de l’Hospice général responsable du foyer. Mais aussi des violences policières, du manque d’empathie du personnel hospitalier, des conditions de vie dégradantes.

Parmi elles, Steve, actuellement dans une chaise roulante, que Le Courrier était allé rencontrer à la clinique de réadaptation SUVA à Sion (lire notre édition du 18 décembre), où il est toujours soigné et qui est venu hier, par ses propres moyens, pour témoigner devant la presse. «Certains ont déclaré que j’aurais sauté par la fenêtre pour obtenir des papiers! Ma vie est mon bien le plus précieux. Pour rien au monde je n’aurais été prêt à la sacrifier. Ma demande d’asile sera examinée, mais je ne sais pas encore si je serai assis ou debout au tribunal.»

Un manque d’humanité également souligné par le collectif Solidarité Tattes qui s’est créé en janvier dernier: «Il n’y a eu aucune prise en charge psychologique liée au sinistre, la procédure a été plus que douteuse en ce qui concerne les dédommagements et il y a toujours la menace des renvois, avant même que la responsabilité des uns et des autres ne soit établie, notamment celle de l’Etat», a déclaré l’une de ses membres.

«Je ne peux pas rester assis plus de vingt minutes»

La pétition, qui a recueilli plus de 1500 signatures en moins de trois semaines, et notamment celles de Ruth Dreifuss, Jean Ziegler, Sandrine Salerno, Rémy Pagani, Liliane Maury Pasquier, ou encore Robert Cramer, mais aussi celles d’une centaine de soignants, demande de suspendre les renvois des victimes de l’incendie, en particulier celle de A.* vers l’Espagne prévue d’ici à la fin du mois.

Selon le médecin qui a signé le rapport médical concernant A.* à destination de l’Office cantonal de la population, daté du mois dernier, il est «actuellement toujours formellement contre-indiqué de faire un voyage en avion» car le jeune homme, qui a eu le crâne fracturé en tentant de sauver sa vie, «a besoin de soins plus intensifs».

«Je ne peux pas rester assis plus de vingt minutes», témoigne-t-il. «Quand je suis allé faire tamponner mon document, on m’a dit que ce serait la dernière fois et que je devrai poursuivre mon traitement en Espagne, alors qu’une opération à la tête est encore prévue. J’ai un rendez-vous avec la Croix-Rouge pour un départ volontaire. Si je ne me présente pas, je serai exposé à être mis de force dans un avion.»

Selon Laïla Batou, les autorités n’ont même pas ouvert son dossier. «Il s’agit d’un cas Dublin, donc elles ne pensent qu’à le renvoyer en Espagne, premier pays européen dont il a foulé le sol. Or l’Etat a une responsabilité morale, il ne peut se cacher derrière les compétences bernoises: quand on exécute un ordre injuste, on s’en rend complice.»

Portes et fenêtres condamnées

Ne pas renvoyer la victime en Espagne ne signifie pas la garder «à vie» en Suisse, renchérit Me Bayenet. «Mais que la Suisse devient compétente pour traiter son dossier.» Et de rappeler qu’une enquête du Ministère public genevois est en cours. Le rapport des pompiers fait état de plusieurs «problèmes techniques», notamment des portes et fenêtres condamnées, ce qui avait obligé un certain nombre de résidents à sauter par les fenêtres. «Il y a eu nombre de perquisitions et d’auditions, notamment du personnel de l’Hospice général, ce sera bientôt au tour des Protectas. On espère que la justice pourra démêler les fils», conclut l’avocat.

Sollicité par nos soins, le président du Conseil d’Etat, François Longchamp, a indiqué ne pas être en mesure de nous répondre.

*Nom connu de la rédaction.