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Comptoir

Les abris de la protection civile suscitent de l’indignation aujourd’hui comme dans le passé

« Les abris de protection civile ont accueilli les personnes qui fuyaient la guerre des Balkans sans que cela ne suscite d’indignation de la part de qui que ce soit. »
Mauro Poggia, sur le plateau de l’émission Infrarouge (RTS), le 23 juin 2015

Pourtant, les archives du Centre social protestant de Genève racontent une autre histoire, dévoilée par ce décryptage.

En ce qui concerne l’année 1999, les recherches dans les archives sont sans appel: les abris de protection civile (PC) utilisés pour accueillir les demandeurs d’asile ont suscité l’indignation de la société civile, mais aussi de l’Hospice général, et apparemment même… du Conseil d’État. Celui-ci avait alors réussi en quelques mois à fermer treize abris de protection civile où avaient logé jusqu’à 700 demandeurs d’asile.

Pression augmente

Retour sur la situation à la fin des années 1990

Dans le domaine de l’asile, on croit en permanence être face à une situation nouvelle, à un afflux sans précédent, à une arrivée soudaine et massive de migrants. Cette vision a-historique est pratique, parce qu’elle permet aux autorités de justifier certaines impréparations, et aux acteurs hostiles aux réfugiés de donner l’impression que cette fois, vraiment, il y en a trop.

Mais c’est faux. Il suffit de regarder l’évolution des demandes d’asile en Suisse depuis 1996 pour s’en convaincre.

Nouvelles_demandes_1996-2014

En 1990, 35’881 personnes demandaient l’asile à la Suisse. En 1991: 41’663. En 1998: 42’979. En 1999: 47’513. En comparaison, il y a eu 23’765 demandes d’asile en 2014, et pour 2015 on projette que 30’000 demandes auront été déposées à la fin de l’année.

Entre ces épisodes à fortes arrivées, le nombre de nouvelles demandes d’asile est redescendu. On peut dire que le nombre de nouvelles demandes d’asile oscille généralement entre 10’000 et 30’000, et qu’il ne dépend ni des révisions législatives ni des conditions d’accueil des demandeurs d’asile, mais bien du contexte géopolitique international; la guerre en Syrie en ce moment historique, les guerres en ex-Yougoslavie dans les années 1990.

En juin 1999, c’est la guerre au Kosovo. En un seul mois, 500 demandeurs d’asile arrivent à Genève et doivent être hébergés. Le mois suivant, il y a 300 nouvelles arrivées enregistrées. À titre de comparaison, l’Hospice général annonçait en juin 2015 l’arrivée de 200 demandeurs d’asile.

Les autorités genevoises ne s’attendaient pas à de telles arrivées et sont dépassées. Elles ouvrent des abris PC pour héberger les demandeurs d’asile; jusqu’à 13 abris, où 700 demandeurs d’asile sont hébergés. A l’époque, des familles aussi y étaient logées. En 2015 cette pratique n’est plus d’actualité. Les autorités refusent de recourir à ce type d’hébergement pour les familles.

En 1999, comme aujourd’hui, un « comité pour sortir les réfugiés des abris » se met en place et mène des actions, comme par exemple à la PC des Grottes où des demandeurs d’asile sortent leurs matelas en pleine rue pour protester, et menacent d’entamer une grève de la faim.

Certaines de ces actions « agacent » le Conseiller d’État Laurent Moutinot, alors en charge du Département de l’aménagement, de l’équipement et du logement (DAEL)[1]. Il est frappant de constater qu’en 1999, le « comité pour sortir les réfugiés des abris » s’adressait en premier lieu au Département de l’aménagement, de l’équipement et du logement (DAEL), identifié comme le département pouvant débloquer la situation. Aujourd’hui, c’est Mauro Poggia, en charge du Département de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la Santé (DEAS), qui est sommé de trouver des solutions à la situation.

il ne reste que 11 requerantsLa Coordination asile.ge, toujours active aujourd’hui, s’engage déjà en 1999, notamment en écrivant le 26 novembre 1999 au Conseil d’État. Elle lui fait part de son « soulagement » de constater que le Conseil d’État ait trouvé une solution et que « cette forme d’hébergement prendra fin en tous les cas à la fin de l’année ».

Ce qui est frappant en 1999, c’est l’évolution fulgurante du dossier: début août, 700 personnes sont hébergées dans 13 abris PC; le 15 novembre de la même année, elles ne sont plus que 175; le 9 décembre, il ne reste plus aucune personne demandeuse d’asile dans les PC: toutes ont été relogées « en surface ».

Comment expliquer un tel succès?

Facteur hypothétique 1: Le Conseil d’État de l’époque aurait-il pris les choses plus au sérieux dès les premiers cris d’alerte des associations? Possible.

Facteur hypothétique 2: Depuis 1999, la propagation massive de préjugés xénophobes, via les campagnes électorales de partis comme l’UDC ou le MCG, ou via des initiatives populaires (minarets, « criminels » étrangers, immigration « de masse », etc.), a changé les mentalités et représentations. Le climat général est dès lors nettement moins empathique à l’égard des réfugiés, quand bien même ceux-ci fuient une guerre atroce comme les Syriens ou une dictature impitoyable comme les Érythréens (pour ne citer que deux exemples). L’action du Conseil d’État est malheureusement aussi influencée par ces vents-là.

Facteur hypothétique 3: La situation sur le marché du logement a évolué et la disponibilité de terrains et de locaux vides était meilleure en 1999. Les statistiques genevoises ne semblent pas donner raison à cette hypothèse. En effet, comme le « coup d’œil » des statistiques de 2002 l’indique, « après une phase de tension moins accentuée, de 1993 à 1998, le marché du logement à Genève est de nouveau en crie aiguë ».

crise logement 1990

(source: Office cantonal de la statistique (OCSTAT), « Coup d’œil » n°11, mars 2002)

Facteur hypothétique 4: « Le problème n’est pas financier, il est politique », dixit le directeur de l’Hospice général, en 1998, critiquant l’action du Conseil d’État et « tirant la sonnette d’alarme » sur la question de l’hébergement des demandeurs d’asile. L’Hospice général n’hésitait pas alors à exprimer publiquement son souci pour les réfugiés, quitte à ce que son désaccord avec l’État soit patent.

Christophe Girod, actuel directeur de l’Hospice général, juge quant à lui que l’État lui « donne les moyens pour remplir [sa] mission d’hébergement »[2]. Simultanément pourtant, l’Hospice ouvre des abris de protection civile qu’il juge « humainement insatisfaisants »[3]. Manifestement, l’Hospice a changé son positionnement.

La nouvelle ligne choisie par l’Hospice général dénote un problème majeur: les associations, les partis de gauche et des mouvements à la gauche de la gauche sont désormais les derniers à s’alarmer de la situation, confinés qu’ils sont à tenir un rôle qui leur donne une image d’exagérateurs alors qu’ils ne font que dire ce que l’Hospice disait lui-même il y a quelques années seulement.

Conclusion

La situation en 2015 n’est pas exceptionnelle, et le recours aux abris PC a déjà suscité l’indignation dans le passé. Ce qui par contre est totalement nouveau, c’est que l’usage d’abris de protection civile se prolonge sur de longs mois, faute de terrains ou de bâtiments mis à disposition « en surface ». Mais restons optimistes: le Conseil d’État répète régulièrement qu’il juge l’hébergement en abri PC humainement inacceptable et qu’il a plusieurs pistes pour y pallier. Il n’y a plus qu’à espérer que ces pistes se concrétisent rapidement.

Aldo Brina

[1]  Sophie Malka, « La pression monte d’un cran pour fermer tous les abris », Le Courrier, 17.11.1999.

[2]  Laurence Bézaguet, ‘La surdensité pose problème aux Tattes’, Tribune de Genève, 19.11.2014

[3]   Communiqué de presse de l’Hospice général, « L’hospice général veut pouvoir fermer ses abris PCi« , 02.03.2015.