Sur bien des points, les formulations de la nouvelle loi sur l'asile ont l'apparence d'un progrès par rapport au statu quo. Un examen attentif démontre cependant qu'il s'agit le plus souvent de faux semblants. Au mieux, ce qu'on présente comme une avancée n'a qu'une portée limitée. Au pire, le « progrès » s'avère en fait être une régression.
« Il y a lieu de tenir compte des motifs de fuite spécifiques aux femmes » dit la nouvelle loi à l'art. 3 al. 2, qui précise la notion de « grave préjudice ». Le problème, c'est que de l'avis même de l'ODR, cette mention ne change rien à la définition du réfugié (Tragweite der Asylgesetzrevision für Frauen, 3003 Bern, 03. Februar 1988/Bll). Il aurait fallu pour cela modifier l'art. 3 al. 1, qui fixe cette définition, en ajoutant les persécutions en raison du sexe à la liste des motifs d'asile. Les Chambres ont expressément refusé de le faire, et c'est uniquement pour masquer ce refus que le Conseil des Etats à imaginé d'ajouter une mention propre aux femmes dans l'alinéa qui définit la notion de « grave préjudice ». Que le viol soit un grave préjudice, personne n'en a jamais douté. Comme par le passé, il faudra cependant prouver qu'il repose sur une persécution étatique infligée non en raison du sexe, mais uniquement en raison de la race, de la religion, de la nationalité, du groupe social ou des opinions politiques. Les persécutions visant spécifiquement les femmes ont encore de beaux jours devant elles.
Le principe selon lequel les femmes victimes de sévices sexuels sont interrogées par d'autres femmes est déjà appliqué sur la base de directives. Sur ce plan, la nouvelle loi se contente d'un renvoi aux ordonnances d'application (art. 17 al. 2). Les amendements qui voulait donner des garanties formelles ont été refusés. En ce qui les concerne, les projets d'ordonnances, se contentent de reprendre la pratique actuelle en soulignant deux choses (cf. art. 6 OA1) : Premièrement c'est seulement lorsque les indices « concrets » de persécution liée au sexe seront apparents que l'audition s'organisera avec du personnel féminin. Cela signifie que ces dispositions ne seront pas prises d'office pour faciliter la révélation de ce genre de sévices. Il faudra donc d'abord qu'une femme parle d'abord de sa blessure intime devant un homme, cas échéant, pour avoir droit à être auditionnée par une femme dans la suite de la procédure ! Deuxièmement même dans le cas de persécutions sexuelles avérées, ce n'est que « dans la mesure du possible » que l'interprète sera une femme. Or l'interprète est le personnage central de toute audition et le seul interlocuteur véritable de la personne interrogée. Pour des motifs culturels et psychologique, il est clair que de nombreuses femmes ne parleront pas devant des hommes. Prétendre que la loi apporte une amélioration à ce chapitre est une mystification. Il fallait pour cela adopter l'amendement Bühlmann qui disait « les requérants d'asile sont entendus par des personnes du même sexe ». Mais il a été rejeté par 88 voix contre 74 le 16 juin 1997.
« Si un requérant mineur non accompagné est attribué à un canton, celui-ci nomme immédiatement une personne de confiance chargée de représenter les intérêts de l'enfant pendant la durée de la procédure », dit la nouvelle loi à l'art. 17 al. 3. Le problème c'est que cette clause spéciale risque de se substituer à l'obligation générale de nommer un tuteur ou un curateur qui découle du code civil (art. 368 et 392 CC). Or le mandat tutélaire est défini avec précision et il est soumis à contrôle strict, alors que la loi sur l'asile laisse dans le flou les exigences posées à la « personne de confiance ». Il s'agit donc d'une régression. C'est d'autant plus net que la jurisprudence avait posé le principe d'une accompagnement juridique, dont ni la loi ni le projet d'ordonnance ne disent rien. En fait, la disposition inscrite dans la loi sur l'asile résulte d'un retournement imposé par la droite dure au cours des débats parlementaires. Dans un premier temps, le Conseil national avait en effet adopté une formulation qui imposait la nomination d'un tuteur avant toute audition. Les Etats ont par la suite substitué la « personne de confiance » au tuteur, en ajoutant que celle-ci n'interviendrait qu'après attribution au canton, laissant ainsi les mineurs sans aucune aide en cas de procédure de non entrée en matière.
La nouvelle loi mettra fin à l'influence excessive des cantons dans l'octroi de permis humanitaires en donnant la compétence de régler ces cas à l'ODR et à la CRA. Sous l'angle de l'égalité de traitement, c'est un mieux. Savoir si ce sera un progrès pour les intéressés est une autre question. Premièrement, là où les intéressés obtenaient un permis B, ils n'obtiendront plus qu'une admission provisoire. Les critères définissant, les cas humanitaires sont-ils au moins assouplis pour compenser ce recul ? Pas du tout. Le message du Conseil fédéral parle expressément de reprendre la jurisprudence du Tribunal fédéral (TF) relative au permis B humanitaire (pt. 143.2, p. 28), et le projet d'ordonnance introduit même des exigences tellement strictes que le renvoi d'une famille installée en Suisse depuis 7 ans et dont les enfants sont scolarisés ne sera pas considéré comme cas de rigueur si celle-ci n'est pas totalement indépendante sur le plan financier. En bref, ce nouveau système représentera un progrès pour les requérants vivant dans un canton qui refusait quasiment toute solution humanitaire. Pour les autres, il s'agit d'une très nette régression.
Oui, la nouvelle loi prévoit le regroupement familial pour les « personnes protégées » admises collectivement. Partir de là pour affirmer que la législation actuelle empêche une solution analogue est mensonger. Tant les Bosniaques que les déserteurs de l'ex-Yougoslavie, les deux groupes de réfugiés de la violence qui ont été admis à titre collectif ces dernières années ont bénéficié du regroupement familial. En fait ce droit découle implicitement de la reconnaissance du caractère collectif du danger et des règles de base du droit humanitaire, qui prescrit le regroupement des familles. L'inscrire dans la loi sur l'asile est certes une sécurité. Elle ne doit cependant pas faire illusion. Lorsque l'on voit les entraves mises aujourd'hui par le Conseil fédéral au regroupement des familles de permis B et C, on ne peut pas croire qu'il appliquera sans restriction le regroupement familial aux 45'000 réfugiés de la violence Kosovars censés être admis collectivement. Il y a en effet de multiples façons de rendre ce genre de clause inopérantes : exiger la preuve formelle du lien de parenté, alors que les papiers sont détruits, imposer des formalités administratives complexes, etc. A noter que ce regroupement familial se limite aux enfants mineurs et au conjoint, et qu'il n'implique pas la prise en charge du voyage par les autorités.
Oui, les cas d'asile manifestes devraient échapper à la protection provisoire et à la suspension de la procédure, selon la formulation de l'art. 69 LAsi. Mais il faut voir que ces cas devront déjà être manifestes au centre d'enregistrement, sans même que l'on procède à une audition sur les motifs d'asile en présence d'un représentant d'oeuvre d'entraide. Or le mécanisme de la protection collective porte sur des groupes de requérants dont le nombre pousse à des formalités d'enregistrement simplifiées. Prétendre qu'on va dans ce contexte apporter suffisamment d'attention à chaque cas pour y déceler les cas d'asile est fallacieux. Exiger qu'un cas soit manifeste place en outre la barre très haut. La seule vraisemblance ne suffit pas. Dans la pratique actuelle il est déjà rarissime que l'ODR accorde l'asile sur la base des procès-verbaux d'audition, sans convoquer une audition complémentaire ou procéder à une enquête approfondie. Imaginer qu'il le ferait demain sur la seule base d'un procès-verbal d'enregistrement est tout à fait illusoire. Il n'y a que deux cas de figure où cela est envisageable : si un homme d'Etat connu demande l'asile ou s'il s'agit de réfugiés sélectionnés par le HCR dans le cadre d'une action spéciale et identifiés comme tels avant de venir en Suisse. Pour tous les anonymes qui demanderont l'asile par leurs propres moyens, la suspension de la procédure tombera comme un couperet et leur barrera pour des années, et sans doute définitivement, l'accès au statut de réfugié. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les Chambres ont exclu toute possibilité de recours sur ce point, donnant ainsi les pleins pouvoirs à l'ODR.
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